La couverture et les finitions d’un siège ne sont que la partie émergée de l’iceberg du travail de tapissier garnisseur. Avant d’en arriver là, il faut passer par une série d’étapes, dont la toute première est le dégarnissage, pour retrouver une carcasse nue, prête à recevoir une nouvelle garniture.
À ce stade, on est souvent loin du beau fauteuil propre et photogénique que le client retrouve !
Poussière de crin ou de mousse « cuite » par les années, lambeaux de tissu, rouille, humidité, c’est la partie salissante du travail. Et au-delà des éléments qu’il est logique de retrouver dans une assise, les creux de nos fauteuils recèlent des trésors insoupçonnés : miettes de nourriture, cacahuètes, pièces de monnaies, poils d’animaux, … Dis- moi où tu t’assoies, je te dirai qui tu es !
La mission semble simple : tout retirer ! C’est en réalité plus compliqué qu’il n’y paraît et le dégarnissage demande des outils adaptés, de la technique et de la minutie. Il ne s’agit pas juste de retirer semences et/ ou agrafes, il faut le faire dans le respect du meuble, le plus délicatement possible. La première des précautions à prendre est de préserver le bois apparent de tout choc ou rayure qui pourrait venir l’abîmer. Il faut aussi prendre soin de la carcasse qui va supporter la nouvelle garniture, en limitant l’impact de notre intervention.
Plus symboliquement, le dégarnissage c’est aussi pour moi un point de contact avec mon ou mes prédécesseurs. L’instant où je me sens inscrite dans la tradition des artisans tapissiers d’ameublement, par le biais du travail de celui qui a garni ce siège avant moi. Parfois je le maudis un peu parce qu’il a eu la main lourde sur les agrafes, ou qu’il a planté ses semences très très près du bord du bois ! Mais toujours j’aime imaginer le contexte dans lequel il a travaillé. Peut-être dans une petite entreprise familiale de province, peut-être seul au fond d’un atelier parisien… En dégarnissant je découvre sa façon de faire, parfois différente de ce que je pratique, parfois académique, parfois moins. Peut-être même qu’en travaillant il a pensé à celui qui, un jour, dégarnirait son travail pour ensuite le refaire ! J’aime aussi guetter toute inscription, tout signe, qui pourrait me raconter un peu de l’histoire de ce siège, comme cette marque de transport sur un fauteuil bridge :
Il y a quelques temps, je me suis arrêtée un instant en dégarnissant le dossier d’un fauteuil Louis-Philippe. En lieu et place de la toile blanche (qu’on place entre la garniture et le tissu de couverture), j’ai trouvé cet assemblage de trois étoffes différentes. Recyclage d’antan, économie de matière. Je l’ai retourné, et j’ai contemplé dans le calme de l’atelier les petits points de couture réalisés à la main pour unir les différentes pièces les unes aux autres… Petit instant suspendu parmi tant d’autres.